Son usage est limité. Sa production est polluante. Sa réputation est suspecte. Qui miserait donc sur l'hydrogène pour booster la transition énergétique ? Réponse : tout le monde, ou presque. Soutenue à bout de bras par les pouvoirs publics, la filière offre des perspectives alléchantes grâce au développement de l'hydrogène bas carbone.
Hydrogène, une utilisation actuelle à l'échelle industrielle
L'hydrogène représente 75% de la masse de l'Univers. "Moteur énergétique" du Soleil et de milliards d'étoiles, cet élément chimique est présent dans le cœur ou les couches externes de la plupart des planètes. Sur Terre, il est abondant dans l'eau et dans toute matière vivante. Sous forme de gaz (dihydrogène - H2), l'hydrogène est utilisé dans plusieurs applications industrielles.
- Raffinage de produits pétroliers
- Production d'ammoniac (pour la fabrication d'engrais), de méthanol, d'acide chlorhydrique...
- Chimie, métallurgie, verrerie...
- Combustible énergétique : engins spatiaux (satellites, navettes), véhicules (moteur ou pile à combustion)
Les besoins annuels mondiaux sont aujourd'hui supérieurs à 100 millions de tonnes dont environ 1 million pour la France. Des volumes qui sont en forte et constante progression.
Un impact environnemental difficile à assumer
Le hic, c'est que le dihydrogène (communément appelé hydrogène) n'est pas accessible directement, à l'exception de quelques sources naturelles. Il doit être produit pour être utilisé. Et les principales méthodes de production ont un lourd poids écologique.
- Procédés industriels : oxydation partielle du pétrole, gazéification du charbon, électrolyse de la saumure. En dehors de ce dernier procédé, les autres sont émetteurs de CO2.
- Vaporeformage (environ 40% de la production française). L'hydrogène est issu de la réaction entre des hydrocarbures (en général le méthane) et de la vapeur d'eau en présence de chaleur. Le vaporeformage produit des gaz à effet de serre, notamment du monoxyde et du dioxyde de carbone.
La production d'hydrogène doit donc assumer actuellement un mauvais bilan carbone. En France, elle est issue à quasiment 95% des énergies fossiles. La rendant ainsi responsable de 2 à 3% des émissions annuelles de gaz à effet de serre soit environ 10 MtCO2/an. À noter qu'il est possible de réduire l'impact environnemental en captant et en stockant le CO2 émis lors du vaporeformage du méthane ou de la gazéification du charbon.
Objectif : développer la production d'hydrogène décarboné
Il existe pourtant des méthodes plus écoresponsables. La piste la plus intéressante pour produire un hydrogène bas carbone est l'électrolyse de l'eau. Un courant électrique (d'origine décarbonée pour que le bilan écologique soit acceptable) décompose les molécules d'eau (H2O) pour obtenir du dihydrogène (H2).
La production de cet hydrogène gazeux implique une augmentation des capacités du réseau électrique pour alimenter les électrolyseurs. Une perspective qui n'effraie pas RTE. Dans son récent rapport La transition vers un hydrogène bas carbone, le principal gestionnaire du réseau de transport d'électricité en France se veut rassurant.
Les volumes d'électricité nécessaires pour atteindre les objectifs de production d'hydrogène bas fixés par les pouvoirs publics à terme sont significatifs. Ils représentent près de 30 TWh de consommation électrique supplémentaire en 2035 selon les objectifs de la PPE-SNBC [Programmation pluriannuelle de l'énergie - Stratégie nationale bas-carbone].
Cet accroissement de consommation ne représente toutefois que 5 % de la production électrique totale à cet horizon. Ainsi, la consommation des électrolyseurs ne constitue pas une difficulté pour le système électrique en matière d'énergie.
Rapport de RTE, La transition vers un hydrogène bas carbone, Janvier 2020
Dans cette optique d'une production décarbonée de l'hydrogène, celui-ci acquiert un tout autre potentiel. Ses perspectives d'utilisation deviennent alors plus "vertes" et plus larges.
Les promesses de l'hydrogène bas carbone
En prolongement des usages actuels, l'hydrogène bas carbone pourrait remplacer de plus en plus des ressources comme le pétrole, le gaz ou l'électricité. Les bénéfices seraient nombreux.
- Amélioration de l'écomobilité électrique des transports de personnes ou de marchandises : capacité, autonomie, rapidité de recharge...
- Optimisation des procédés industriels pour diminuer les impacts carbone
- Emploi/réemploi de l 'hydrogène produit en tant que combustible
L'hydrogène est également une solution à envisager pour assurer une plus grande souplesse du réseau électrique. Produit par électrolyse de l'eau grâce aux excédents d'électricité, l'hydrogène peut être stocké puis reconverti en électricité selon les besoins. C'est le principe du power-to-gas-to-power. Le rendement énergétique est par contre relativement faible (25/30%) pour l'instant. Les améliorations techniques laissent toutefois espérer une plus grande efficacité.
Ce serait un atout important pour accompagner le développement des énergies renouvelables. Celles-ci souffrent en effet d'un défaut majeur : leur intermittence. Il est ainsi impossible d'adopter un mix énergétique 100% EnR car elles entraînent par nature un risque de pénurie. Même si leur part dans la production française est en augmentation selon le bilan électrique 2019 publié par RTE ces derniers jours.
La sécurité de l'approvisionnement doit être assurée par d'autres modes de production plus ou moins écoresponsables. À long terme, l'hydrogène, stocké et converti en électricité à volonté, pourrait donc remplacer par exemple les centrales thermiques, fortes émettrices de gaz à effet de serre. Cela dépend cependant de l'utilisation d'un hydrogène décarboné, du développement de cette branche spécifique de la filière et des choix stratégiques sur le système électrique français.
Le dihydrogène peut également réduire l'impact environnemental du système gazier. Trois possibilités sont envisagées.
- Mélanger une faible portion d'hydrogène (6 à 20% en volume) au méthane dans les réseaux de gaz naturel
- Transformer l'hydrogène en méthane de synthèse pour une injection sans limitation
- Convertir le réseau (tout ou partie) à l'hydrogène pur et adapter les équipements finaux comme les chaudières à gaz
Un consensus politique français sur le développement de la filière
Lancé en 2018, le Plan Hydrogène marque une étape importante dans le développement de l'hydrogène bas carbone en France. Son potentiel pour la transition écologique était déjà identifié comme une opportunité à saisir. Une stratégie exprimée alors par Nicolas Hulot, ministre de la Transition écologique et solidaire.
La France est à la pointe sur cette filière, et je veux lui donner les moyens de conserver son avance au cœur d'une compétition mondiale déjà féroce car elle constitue un atout pour notre indépendance énergétique mais également un immense gisement d'emplois. Le plan Hydrogène doit être l'impulsion qui va mettre en mouvement cette filière d'excellence pour démocratiser, à-terme, les usages de cette énergie dans notre quotidien.
La foi des pouvoirs publics n'a pas faibli depuis. Ayant succédé à Nicolas Hulot, Élisabeth Borne a confirmé début 2020 l'engagement de son ministère dans le développement de la filière hydrogène. En compagnie des ministres Bruno Le Maire (Économie et Finances), Frédérique Vidal (Enseignement supérieur, Recherche et Innovation), du secrétaire d'État chargé des Transports Jean-Baptiste Djebbari, du secrétaire général pour l'investissement Guillaume Boudy et du PDG de l'ADEME Arnaud Leroy, elle annonçait de nouvelles actions et l'intégration du développement de la filière hydrogène dans le Pacte Productif 2025.
Le développement des technologies de l'hydrogène revêt un double enjeu : économique en ce qu'elles offrent l'opportunité de créer une filière et un écosystème industriels ; et environnemental par les solutions qu'elles offrent pour la décarbonation de l'industrie et des transports et l'amélioration de la qualité de l'air.
Communiqué de presse de l'ADEME, Accélérer le développement de la filière hydrogène - 20 janvier 2020
La filière hydrogène a un rôle clé à jouer dans la transition énergétique. Pour son développement, le @gouvernementFR agit : après un soutien de 90M€ en 2019, nous préparons un programme spécifique en 2020 qui a vocation à s'inscrire dans le cadre du #PacteProductif2025. pic.twitter.com/nhBp94NrZC
— Elisabeth BORNE (@Elisabeth_Borne) January 20, 2020
Une adhésion européenne
Les autres pays européens suivent la même voie que la France. GRTEgaz et ses homologues allemands ONTRAS et GRTgaz Deutschland (filiale de GRTgaz) ont par exemple signé en janvier dernier un protocole sur une collaboration autour de projets centrés sur l'hydrogène bas carbone. Cet accord, le Memorandum of Understanding, porte sur le partage des travaux de Recherche & Développement sur le transport et le mélange de gaz naturel et d'hydrogène dans les réseaux français et allemands.
Cet accord, le plus important à ce jour à l'échelle européenne, renforce la coopération transfrontalière des gestionnaires de réseau de transport et contribue au déploiement de l'hydrogène et des nouveaux gaz décarbonés.
Communiqué de presse de GRTgaz, Hydrogène : signature d'un protocole de collaboration européen - 14 janvier 2020
Quantité de projets en Europe développent les technologies basées sur l'hydrogène. La mobilité est le plus souvent à l'honneur : voitures à hydrogène pour la police de Berlin, bus à hydrogène à Lyon... L'Espagne, l'Andorre et la France ont aussi lancé en 2016 le projet « Corridor Hydrogène pour les régions pyrénéennes » (H2PIYR). Financé en partie par l'UE, il doit créer d'ici 2021 des stations de ravitaillement entre Rodez (Aveyron) et Saragosse (Aragon).
Une effervescence mondiale
Dans le monde, le même mouvement est observé. L'Australie est convaincue depuis longtemps du potentiel de la filière. Avec un double avantage : écologique et économique. Le Canada est également un acteur important pour la production et l'utilisation d'hydrogène, de même que le Japon. La flamme olympique des JO de Tokyo 2020 sera d'ailleurs alimentée en hydrogène.
Aux États-Unis, la Californie compte multiplier par 4 d'ici 2025 le nombre de stations de distribution d'hydrogène pour les véhicules électriques. La Corée du Sud va lancer une nouvelle génération de trains électriques à hydrogène. La Chine a ouvert en 2019 la plus grande station-service d'hydrogène au monde. Wan Gang, vice-président du Conseil national pour l'élaboration des politiques a même déclaré sur la chaîne Bloomberg : "nous devons créer une société de l'hydrogène".
Le secteur privé n'est évidemment pas à la traîne. De nombreuses structures ont investi dans la recherche, la production ou la commercialisation de solutions hydrogène. Les subventions publiques aident certainement mais le mouvement dépasse l'effet d'aubaine. De la start-up au grand groupe, le développement d'une économie spécifique est un phénomène global.
Et la filière se structure à toutes les échelles. L'Association Française pour l'Hydrogène et les Piles à Combustible regroupe ainsi des acteurs privés ou publics avec le soutien de l'ADEME. Au niveau mondial, l'Hydrogen Council réunit une soixantaine d'entreprises de l'énergie et de la mobilité comme Siemens Gas and Power, Michelin, Daimler, China Energy, General Motors...
Alors, faut-il croire en l'hydrogène ?
Dans les débats sur la transition énergétique, l'hydrogène occupe une place bien à part. Il n'est pas une source d'énergie mais il peut favoriser le développement des énergies renouvelables. Sa production actuelle pèse sur l'environnement mais son potentiel est immense pour réduire les émissions de gaz à effet de serre. Son rendement énergétique est faible mais l'hydrogène est peut-être une solution à long terme pour le stockage de l'électricité.
Du coup, que penser des efforts fournis par les pouvoirs publics pour développer la filière hydrogène ? Premièrement, que c'est un choix de société dépendant de la composition du mix énergétique / électrique français, de la direction prise par nos voisins européens (et au-delà) et du contexte géopolitique mondial. Deuxièmement, miser sur l'hydrogène nous engage sur le long terme. Pour avoir l'impact attendu, plusieurs décennies seront en effet nécessaires. Troisièmement, il faut réaliser que les investissements directs et indirects seront importants. Au final, l'hydrogène sera un acteur majeur de la transition énergétique seulement si les pouvoirs publics restent constants dans leur stratégie et dans leurs actes. Chiche ?