Motivée par le contexte de la crise énergétique, une commission d’enquête parlementaire présidée par Raphaël Schellenberger a été constituée pour expliquer la perte d’indépendance et de souveraineté énergétique de la France et proposer des solutions. Après plus de 6 mois d’études et l’audition de 88 personnes, la commission a publié son rapport en avril.

Le système énergétique français, historiquement jugé solide et indépendant, s'est considérablement dégradé ces dernières décennies. L'augmentation des prix de l'énergie et les risques de coupure d'électricité de cet hiver ont mis en exergue ses faiblesses. Une commission d'enquête de l'Assemblée nationale a étudié les raisons de la perte de souveraineté énergétique de la France. À travers un texte critique, le rapport relève 6 erreurs dans la stratégie énergétique des 30 dernières années.

6 erreurs de la politique énergétique française

1. Prévisions énergétiques négligées

La perte de souveraineté énergétique s'explique, en premier lieu, par une mauvaise anticipation de la demande d'électricité. En effet, la France a sous-estimé ses besoins en énergie.

D'après le rapport de la commission, la décennie des années 90 est marquée par une considération politique négligée en matière de stratégie énergétique. Croyant à une "illusion surcapacitaire", les gouvernements n'ont pas anticipé les défis à venir. "Après quarante ans de volontarisme [et d'investissement dans le] nucléaire, les années 1990-2000 se croient durablement surdimensionnées en électricité."

Par la suite, les objectifs écologiques contraignants et la sortie nécessaire des énergies fossiles ont affaibli le système énergétique français. Mis en place indépendamment des besoins énergétiques du pays, ces objectifs climatiques ont entraîné les risques de pénuries d'électricité de cet hiver, et un besoin inédit de s'approvisionner auprès des pays voisins par manque de disponibilité. En effet, pour la première fois depuis 1980, les importations d'électricité de la France en 2022 ont surpassé ses exportations.

2. Opposition du nucléaire et des EnR

Dès les années 2010, le nucléaire devient un sujet très clivant. Au nom de la transition énergétique, la France doit réduire sa dépendance aux énergies fossiles et l'énergie atomique est comprise dans cette diminution. Le rapport regrette l'expansion des énergies renouvelables au détriment du nucléaire.

Sur la première moitié de la décennie 2010, la production nucléaire se maintient à un bon niveau avant de diminuer. "Haute de 429 TWh en 2010, elle s'élève à 436 TWh en 2014, avant de commencer une baisse qui témoigne d'une disponibilité déclinante : […] 379,1 TWh en 2017."

Durant la présidence de François Hollande, la filière nucléaire va cesser d'être prioritaire. Le gouvernement veut favoriser les EnR et réduit donc, par opposition, la part de l'énergie atomique. Le rapport pointe alors du doigt la "multiplicité d'objectifs non priorisés [qui] fragilise le modèle énergétique français".

  • 2014 : passage de la part du nucléaire de 75% à 50% dans le mix énergétique "au mépris de la réalité scientifique et technique"
  • 2015 : plafonnement "symbolique" de la production nucléaire à 63,2 GW, engendrant la fermeture de la centrale de Fessenheim

Ces décisions ont mené à un affaiblissement du parc nucléaire français. Selon la commission d'enquête, la baisse de l'énergie atomique – clé de voûte du système énergétique français – au profit des énergies renouvelables a entraîné des "défis immenses" et très coûteux auxquels la France n'était pas encore préparée.

  • Changement majeur des installations sur le réseau électrique
  • Capacité à réduire les dépenses grâce à la sobriété énergétique
  • Développement majeur des énergies renouvelables

3. Mauvaise gestion du parc nucléaire

Le rapport dénonce un manque de moyens mis en place pour assurer l'avenir du nucléaire. Deux erreurs sont pointées du doigt.

  • La prolongation de la durée de vie des centrales n'a pas été anticipée
  • Le renouvellement du parc nucléaire s'est limité à un chantier (Flamanville)

"Les perspectives d'augmentation du parc nucléaire à court terme se résument à la mise en service de l'EPR de Flamanville, annoncée pour mi-2024. À plus long terme, la construction de nouveaux réacteurs nucléaires ne pourrait donner lieu à une mise en service qu'à partir de 2035 au plus tôt."

Le manque d'anticipation concernant l'état des réacteurs a donné lieu à une série de maintenances tardive au sein du parc nucléaire, entraînant une réduction de sa capacité. En 2022, le taux de disponibilité de l'énergie atomique s'est élevé à 54% seulement, contre 73% entre 2015 et 2019. Cette même année, la production d'électricité nucléaire a baissé de 6,3% (soit 82 TWh) par rapport à 2021.

Cette diminution a contribué aux risques de pénurie d'électricité de cet hiver. Actuellement, 20 réacteurs nucléaires sur 56 sont à l'arrêt pour maintenance.

4. Déploiement insuffisant des énergies renouvelables

L'une des six erreurs de notre politique énergétique est de "ne pas avoir construit plus vite de filières industrielles d'énergies renouvelables pour remplacer les énergies fossiles". Mise en place en avril 2009 à l'échelle européenne, la directive 2009/28/CE fixait l'objectif suivant : porter à 23% la part des énergies renouvelables dans la consommation finale de la France d'ici à 2020. L'objectif n'a pas été atteint. Les énergies renouvelables ont représenté cette année-là 19,1%.

Une baisse du nucléaire non compensée

Les risques de pénurie de l'hiver 2022 sont l'illustration d'un développement trop faible de la filière des EnR. Dans son dernier bilan énergétique, RTE a enregistré une diminution de 6,3% de la production d'électricité nucléaire en 2022 par rapport à 2021. Sont en cause la maintenance des réacteurs, la baisse du nucléaire au bénéfice des EnR et, plus globalement, la mauvaise gestion du parc.

Cette importante baisse de la production nucléaire a été très peu compensée par les énergies renouvelables, malgré une production record du solaire et de l'éolien cumulant 12,7%. En effet, la production d'EnR a augmenté de seulement 2,1% (bioénergies non comptabilisées) en 2022 et contribué aux risques de pénurie observés cet hiver.

5. Modèle français peu défendu au niveau européen

Parmi les solutions de relance pointées par la commission, le rapport formule "l'impérieuse et urgente nécessité de réformer l'ensemble du cadre européen en matière de politique énergétique". De fait, certaines mesures mises en place à l'échelle européenne auraient fragilisé le modèle énergétique français et EDF.

Premièrement, le dispositif de l'ARENH qui est l'Accès Régulé à l'Électricité Nucléaire Historique. En vigueur depuis juillet 2011, il oblige EDF à revendre une partie de sa production d'électricité à ses concurrents, à un prix fixé à l'avance.

La volonté de Bruxelles d'obtenir une libération du marché de l'énergie a aussi donné naissance en 2015 au régime de renouvellement des concessions hydroélectriques. Il impose aux installations du parc hydraulique français (dites concessions hydroélectriques) leur mise en concurrence une fois leur contrat arrivé à échéance. Pour EDF, gérant 70% de la filière, la conservation de ces concessions est essentielle pour garder le contrôle de la production énergétique française et ainsi conserver la souveraineté de l'hydroélectrique.

6. Suspension de projets de recherche

Profitant pourtant d'une avance technique et industrielle dans le secteur énergétique, la France s'est éloignée de la recherche & développement durant ces 3 dernières décennies. Cette erreur relevée par la commission d'enquête se traduit par l'abandon de plusieurs projets d'envergure. Là encore, le nucléaire est principalement ciblé.

"La fermeture de Superphénix [en 1997] constitue une erreur stratégique majeure et ouvre une décennie floue sur l'avenir de la filière nucléaire française". L'arrêt du réacteur nucléaire à neutrons rapides pour des raisons techniques et financières est considéré par la commission comme une atteinte au progrès scientifique et énergétique. Son démantèlement toujours d'actualité est aussi sujet aux critiques. Il représente un coût total d'environ 2 milliards d'euros, à la charge d'EDF.

Second abandon controversé, le projet ASTRID en 2019. Après une dizaine d'années de recherche, le prototype de réacteur nucléaire français de 4e génération (réacteur rapide refroidi au sodium) est arrêté en raison de contraintes budgétaires.

La France a accumulé un important retard dans son programme de recherche, questionnant la stratégie énergétique sur le long terme. Parmi les leçons à tirer pour les 30 prochaines années, le rapport développe son point de vue sur l'importance de la recherche dans le secteur de l'énergie.

"Sans recherche, nous sommes condamnés à avoir du retard : la recherche a besoin de visibilité et de moyens pour anticiper les 5 prochaines décennies : fermeture du cycle dans l'industrie nucléaire ; stockage massif de l'électricité pour le réseau ; recyclage des matériaux critiques..."

Comment (re)bâtir une souveraineté énergétique ?

Le rapport de la commission préconise le déploiement d'un plan opérationnel pour redonner à la France un destin énergétique.

  • Stratégie : se doter d'une ambition énergétique pour les 30 prochaines années
  • Nucléaire : refaire de la filière la grande force française
  • Efficacité énergétique : accélérer et sensibiliser le mouvement afin de réduire les dépenses énergétiques
  • Énergies renouvelables : lancer un plan d'installation pour développer davantage les EnR et ainsi limiter la dépendance aux énergies fossiles
  • Europe : construire un cadre européen qui cesse de désavantager la France
  • Anticipation : donner aux administrations les moyens de suivre nos vulnérabilités
  • Enseignement : poursuivre les efforts engagés pour attirer les jeunes vers les métiers de l'énergie